Yagé Ayahuasca médecine indigène

Yagé Ayahuasca médecine indigène

 

Les médecines indigènes attirent de plus en plus. En Colombie aussi.

 

La Colombie s’est ouverte au tourisme et aux nouvelles expériences. Des secteurs marginaux, voire totalement ignorés, trouvent maintenant un grand public. Observation des oiseaux ou des baleines, glamping, eco-lodge, sports extrêmes, etc … se développent dans tout le pays.

Les rites et traditions indigènes n’y font pas exception. Leur médecine sacrée et ancestrale attire de plus en plus de monde et des cérémonies ont lieu un peu partout dans le pays. Connu sous le nom d’Ayahuasca au Pérou, le Yagé est une plante hallucinogène qui permettrait de guérir l’âme. Entre médecine, spiritualité et mode de vie, le Yagé est considéré comme « le remède ».

Vaut-il la peine de voyager en Colombie pour tester ? À quoi doit s’attendre le consommateur ?

L’origine et les effets du Yagé ?

 

Le Yagé est une boisson amère d’Amazonie. Les indigènes de Colombie, du Brésil, Pérou et Équateur en consomment depuis en-tous-cas près de mille ans, selon des traces avérées. On suppose toutefois que son usage est plusieurs fois millénaire. Il porte différents noms. Ayahuasca, du Quechua, se traduirait par « corde des cadavres ». D’autres termes comme caapi, cipó, natema, yajé, shori, ayawaska peuvent se traduire par liane amère ou corde des esprits.

Le breuvage du Yagé contient de la diméthyltryptamine, ou DMT, une substance psychotrope puissante. Cette substance ne vient pas de la liane mais des feuilles d’un arbuste, la Chakruna. Cependant, l’organisme l’élimine sans difficulté et sans effet, grâce à des enzymes présent dans l’appareil digestif. Si le DMT peut se trouver dans différentes plantes, et même le corps humain est capable d’en créer, la liane de Yagé est la seule qui offre un composant neutralisateur de ces enzymes. C’est pourquoi, les shamans préparent la boisson avec la Chakruna et l’écorce de Yagé qui « protège » le DMT, pouvant s’activer librement.

Lire aussi : L’article sur wikipédia qui est assez complet et clair sur ce qu’est le Yagé.

 

À cela, les shamans ont la connaissance de dizaines d’autres plantes qu’ils ajoutent à la boisson pour orienter, augmenter ou diminuer l’action du Yagé. La boisson est généralement amère, désagréable à boire, et de couleur brun foncé. Mais la couleur peut changer selon les ingrédients additionnels que le shaman décide d’utiliser. Selon les communautés indigènes, les shamans s’accordent sur le même style de breuvage pendant un an, en respectant les « cycles du Yagé ».

Cette année 2019, pour les taitas (shamans) du Putumayo, c’est le Yagé cielo (ciel), plus souple, aimable, tendre avec le consommateur. D’autres concoctions ont d’autres caractères ; le Yagé jaguar par exemple est plus brutal, confrontant, remuant. Mais aussi le mono (singe) plus joueur, le tigre, et bien d’autres encore.

Breuvage Yagé Ayahuasca
le breuvage, amère

 

L’imaginaire autour de l’Ayahuasca

 

La substance hallucinogène, le DMT, a été isolée en 1931 et était même assez populaire comme drogue dans les années 1960. Cependant, les taitas rejettent cette forme récréative. Ils estiment que le Yagé ne se limite pas au DMT et ses effets hallucinatoires. Ils définissent d’ailleurs les hallucinations comme des visions claires de ce qui nous entoure. Une connexion avec les esprits et des manifestations sacrées que notre nature humaine rationnelle bloque et refuse de voir.

Le breuvage travaille sur différents niveaux ; le physique, le subconscient et le spirituel. Le Yagé ne s’accommode pas à d’autres drogues et va commencer par purger et nettoyer son espace, c’est-à-dire le corps du consommateur. C’est tout à fait normal de vomir et de faire ses besoins comme lors d’une diarrhée. Le terme aliviar est d’ailleurs utilisé, c’est un verbe qui se traduit par soulager ou libérer.

Ensuite, chacun va sentir ou voir des choses qui lui sont propres, dans le but de progresser. Tout le monde porte en lui des séquelles, des blessures, des doutes, des questions, des frustrations qui forment des habitudes de vie, des schémas de pensées, des réactions, des réflexes. Certaines séquelles peuvent être très lourdes à porter, d’autres plus subtiles. Certaines dictent des comportements destructeurs ou intransigeants. D’autres induisent des objectifs ou idéaux sans fondements. Le Yagé va donc permettre de se connecter avec soi-même pour comprendre qui nous sommes, d’où nous venons et ce qui nous définis.

Pour finir, le Yagé va prolonger cette connection avec ce qui nous entoure. C’est une spiritualité qui ne cherche en aucun cas à figer une compréhension comme n’importe quelle religion s’évertue à faire. Pas de divinités, pas de livre sacré, pas d’objet, ni même de vérité unique, de chemin destiné. Simplement s’ouvrir au monde visible et invisible qui nous entoure.

 

Voir l’entretien de Jan Kounen, réalisateur francais de Dobberman, Blueberry et 99 Francs

 

Bien se préparer et se comporter pour une cérémonie

 

Comme cité précédemment, le Yagé s’accommode mal aux autres drogues, n’importe laquelle qui altère l’esprit et le corps. Les drogues dures sont forcément à bannir, mais même d’autres substances qui sont considérées comme sacrées doivent être évitées. La Marijuana altère l’effet du Yagé, tout comme le Mambé, feuilles de coca triturées, et ne doivent pas être consommées lors d’une cérémonie.

Il faut éviter l’alcool une semaine avant et une semaine après la cérémonie. Pareil pour certains aliments comme la viande, le sucre et le café. Cela peut paraître un grand effort, mais le Yagé lui-même encourage ces bonnes pratiques. La prise de conscience du respect de son propre corps motive à en prendre soin. Les relations sexuelles doivent être évitées pendant la préparation.

Et puis surtout, surtout, surtout, éviter de prendre des médicaments. En cas de d’obligation, il est préférable d’en parler au taita assez en avance. Il pourra faire des recherches et vérifier si le médicament en question contient des substances à risque.

 

Comment se passe une cérémonie

 

Une cérémonie prend en général toute une nuit. Les participants se réunissent avec le taita (shaman) en fin d’après-midi ou début de soirée et préparent le lieu. Ca commence par une explication sur le Yagé, des conseils et détails pratiques. Puis le taita bénit le lieu et les participants qui, eux-mêmes, se prédisposent à recevoir le Yagé et questionnent leur motivation.

Le taita offre et administre du Rapé à chacun. C’est du tabac à priser, dont le nom vient du francais, râpé. C’est du tabac séché, trituré en poudre très fine et mélangé à un peu de plantes aromatiques. À l’aide d’une paille, le taita va souffler du Rapé dans chaque narine. L’effet donne une claire-vision et aide à recentrer les pensées. Les indigènes l’appellent aussi Hosk, qui se prononcent ‘osca’ ou ‘ochca’.

Après les incantations et bénédiction au Yagé, c’est la première prise. Amère et écoeurante, elle met une demie-heure ou une heure pour agir. Comme le travail est principalement physique, il est normal de se sentir fatigué, somnolant. Il faut pourtant résister à l’envie de dormir et rester attentif au travail qui prend place. Après le moment désagréable des vomissements et besoins aux toilettes, les effets arrivent. Il ne faut absolument pas s’attendre aux hallucinations, car le Yagé peut tout aussi bien s’exprimer seulement par des sensations. Le « voyage » peut avoir différentes formes et il faut rester disponible à le vivre, sans chercher à le conditionner.

Après un certain temps, le taita va préparer la deuxième prise. Ca commence de nouveau par le Rapé, qui à ce point participe encore plus à la pinta, le voyage donc. Puis, bénédiction du Yagé et administration à chacun. Comme le travail physique a déjà été fait en grande partie, les effets du Yagé en seront bien plus forts.

Une troisième prise sera préparée selon l’état du groupe et des participants. En général, une dose moins importante que les deux premières.

 

L’importance du taita

 

Le travail du taita est essentiel. Il prépare son propre Yagé, il le connaît et ressent la dose à donner à chacun. Mais surtout il dirige la cérémonie, stimule les énergies ou les canalise. Les cérémonies se vivent en petit groupe car l’énergie de chacun influence l’expérience globale. D’ailleurs, il est recommandé d’éviter le contact physique pour ne pas mélanger les énergies et se retrouver influencé par le processus de l’autre.

Le taita lui-même consomme le breuvage pour être totalement syntonisé avec le groupe. Mais son expérience et hygiène de vie spirituelle font que le Yagé ne l’affecte pas autant que les participants.

La musique joue un grand rôle. Chants, guitare, tambour, harmonica permettent un travail plus en profondeur. Les odeurs également, notamment avec le tabac ou le bois Palo Santo.

Le taita discute avec chacun des participants avant le début de la cérémonie et juste après. Il cherche à connaître les motivations, s’assurer de la bonne disposition, prévenir les risques et donner des conseils.

 

Les bienfaits et les méfaits

 

Le terme qui pour moi décrit le mieux l’Ayahuasca, le Yagé, c’est la réconciliation. Comprendre et sentir, permettent de se réconcilier avec soi-même et ses expériences passées, voulues ou subies. Il permet de soigner des blessures, même très enfouies. Il libère des forces ignorées. Il détruit l’ego pour le reconstruire sainement.

La spiritualité est en harmonie avec le monde, non-pas remplie de certitudes et de doctrines comme avec une religion. C’est prendre mieux conscience de soi, renoncer à des attitudes néfastes, des réactions excessives.

 

Quant aux méfaits, je n’en vois pas. Le Yagé ne crée pas de dépendance. Même après une nuit sans dormir, on se sent bien. Vomir nettoie le corps. Les malaises élèvent la force physique.

Toutefois, il existe un réel méfait ; c’est le commerce qui s’est créé autour. Malheureusement, des gens y ont perdu beaucoup ; leur santé mentale, et même leur vie.

 

Le commerce autour de l’Ayahuasca

 

Comme pour tout, certains êtres humains ont perverti une tradition sacrée millénaire. Comme la feuille de coca qui a été transformée en cocaïne, comme le tabac qui est plein d’additifs, comme la marijuana qui est commercialisée à des fins récréatives.

La Colombie est encore relativement épargnée, mais on voit quand même des cérémonies organisées sans aucun respect des traditions. Depuis que le Pérou a déclaré l’Ayahuasca comme patrimoine culturel en 2008, les centres shamaniques y ont ouvert à tous de bras. Le principal lieu est Pucallpa, où 90% des « centres de guérison » sont propriétés d’étrangers qui engagent des shamans, qu’ils appellent aussi maîtres. La séance est facturée 70 USD.

Parmi les pires incidents, ont été enregistrées la mort d’un touriste américain en 2012, puis celle d’une autre américaine en 2016. L’assassinat d’un Anglais par un Canadien en 2015. Le lynchage d’un Canadien en 2018 qui avait assassiné une shamane reconnue de la région. L’enquête a déterminé que ce dernier prenait des anti-dépresseurs, combinaison très dangereuse avec l’Ayahuasca.

Voir l’enquête : Ayahuasca, potion magique et potion tragique

 

D’autres régions sont affectées aussi, comme Iquitos. En 2011, un touriste francais a été retrouvé mort, en possession de bouteille contenant de l’Ayahuasca. En 2014, un touriste russe succombe. En 2019, un Canadien se lacère volontairement avec un couteau et en meurt.

 

En Colombie, la session de Yagé coûte 80’000 pesos, environ 25 USD. Mais les prix varient grandement d’un lieu à un autre, pouvant être entre 50’000 et 100’000 pesos. Je n’ai pas de problème avec la rémunération, je ne considère pas que la médecine devrait être gratuite sous l’argument qu’elle participe à un monde meilleur. Bien sûr, tout le monde devrait y avoir accès et j’accepterais tout à fait de payer plus qu’un autre participant parce que j’en ai les moyens. Je considère que le taita doit être compensé pour son temps et ses connaissances. Mon point de vue se rapproche de celui de Freud, quand il dit que si le patient ne paye pas pour son traitement, alors il ne le valorise pas, ne se prépare pas, ne travaille pas les enseignements.

Le problème n’est pas tant financier, sinon l’attention et les soins qui sont offerts. Nombres de pseudo-shamans ne se préoccupent pas des participants, n’en limitent pas le nombre, promeuvent l’Ayahuasca comme une drogue hallucinogène pour touristes en recherche d’émotions fortes.

Cela demande beaucoup d’expérience pour gérer un participant perturbé. Des cris, des interactions brutales, de longues tirades peuvent alors perturber le groupe en entier. D’autres participants pourraient se faire happer dans une spirale négative ou simplement neutraliser leur processus jusqu’à réduire les effets à zéro.

 

Vaut-il la peine d’aller en Colombie pour prendre du Yagé ?

 

La réponse courte est Non. Pas seulement en Colombie, il faut l’éviter partout. Mais en tant que touriste, pas forcément comme résident.

Quand on dit que le Yagé est le remède, nous, occidentaux, le comprenons comme si c’était une pilule qui nous soigne, avec un trip coloré en bonus. Mais il faut plutôt le prendre comme une thérapie. Les blocages physiques et psychologiques peuvent prendre longtemps pour tomber et vous pourrez entendre nombres de témoignages de gens qui n’ont rien senti, ni rien vu. Ou que c’était perturbant. Ils relèveront peut-être quand même que la purge les a fait sentir bien physiquement les jours suivants.

Pour commencer, bien souvent les touristes ne se préparent pas, ou pas suffisamment. En fait, par définition, les touristes veulent s’amuser et profiter de leurs vacances. Ils n’ont pas envie de renoncer à manger de tout et faire la fête.

Ensuite, le participant se retrouve dans un lieu inconnu, entouré d’inconnus, face à un shaman de langue et culture différente, à devoir lui faire confiance pour ingérer un produit inconnu, provenant d’une bouteille en plastique réutilisée. Dans cette circonstance, le corps active ses défenses naturelles et le Yagé ne peut pas travailler librement. C’est totalement normal.

De cette manière, ne reste que la sensation d’un trip. Avec un peu de chance ou d’expériences précédentes, le voyage sera instructif mais le vrai travail s’arrêtera avant même de commencer. Avec moins de chance, c’est une nuit de diarrhée pour 50’000 pesos.

Les étrangers ont droit au remède, bien sûr, mais pas à la manière occidentale. Ce n’est pas pour se divertir, ce n’est pas la panacée, il faut du temps, il faut être humble, il faut pouvoir changer ses habitudes et se remettre en question.

Venir et goûter une fois en vacances revient malheureusement juste à alimenter la commercialisation d’un savoir ancestral. Une autre approche serait alors de prendre plusieurs semaines et d’y dédier tout son temps. En ayant une bonne hygiène de vie, en en prenant peu à peu et en maintenant une vie saine jusqu’au retour, de cette manière Oui.

 

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