Le rhum colombien
Les rhums colombiens sont très peu connus. On n’en voit pas beaucoup en Europe et même en Colombie, chaque région semble se limiter à un seul, voire deux maximum.
En fait, la Colombie produit parmi les meilleurs rhums au monde. C’est un secret tellement bien gardé que même les colombiens ne le savent pas. Mais il y a une raison à cela et elle est en grande partie politique.
Une histoire de distilleries
Le rhum en Colombie a une histoire aussi longue que l’industrie de la canne à sucre dans le pays.
Certaines ne produisent que de l’aguardiente et se chargent aussi d’en produire pour d’autres départements.
Les colons ont introduit la canne à sucre très tôt, dès 1538 à Carthagène et 1540 à Buenaventura pour être plantée à Yumbo. Ils ont commencé à distiller de l’aguardiente et du rhum, qui viennent de ce même ingrédient. Depuis l’ouverture de la première distillerie, la Real Fábrica de Licores vers 1784 à Villa de Leyva, la Colombie est arrivée jusqu’à en avoir 19. Depuis, le nombre de distilleries est descendu à 6, celles d’Antioquia, Caldas, Cundinamarca, Cauca, Valle del Cauca y Boyacá.
Malgré une longue histoire, les rhums colombiens se sont longtemps contentés de produits de grande consommation. C’est seulement depuis le début des années 2000 que l’on voit discrètement l’apparition de produits haut de gamme. D’autres pays ont pourtant développés ce secteur depuis bien plus longtemps. Le Venezuela produit des rhums de grandes qualités. Le Guatemala aussi, tout comme la Barbade, la République Dominicaine et la Jamaïque entre autres.
Dès lors, la Colombie ne s’est jamais démarquée. Pourtant, maintenant qu’elle affiche une réelle ambition, le grand public ne la prend pas au sérieux. Les visiteurs peuvent difficilement s’en faire une autre idée, vu que les meilleurs rhums ne sont pas disponibles. Ou du moins, pas mis en valeur.
Les styles
Tous les rhums colombiens sont produits à partir de mélasse, ce qui les classe dans la catégorie des rhums industriels. Le jus de canne à sucre est chauffé pour en retirer l’eau, à la différence des rhums agricoles.
Pour faire un raccourci, on peut même dire que la recette du rhum est liée à la langue. En français, le rhum vient des îles comme La Réunion et Martinique et est agricole, donc à base de jus. En espagnol, le ron vient des Caraïbes, à base de mélasse. En anglais, le rum vient des anciennes colonies britanniques aux Caraïbes, aussi à base de mélasse mais plus forte et plus sombre.
À part la recette, la durée de vieillissement a son importance. Le rhum colombien est vieilli en barriques 3, 5, 8, 10 ou 12 ans, qui correspondent au type Viejo. La dénomination Añejo requiert 1 an au minimum en barrique alors que Viejo requiert 3 ans au minimum.
Toutefois, les distilleries utilisent la méthode espagnole Solera, qui consiste à mélanger des rhums de différents âges. L’avantage est de garantir l’uniformité du goût année après année, le vieux rhum « éduquant » le jeune. Mais cela rend impossible de connaître l’âge exact.
Depuis quelques années, on a vu apparaître les rhums Premiums. La recette n’est pas nouvelle mais d’autres facteurs entrent en jeu. D’abord, le choix des ingrédients, la canne à sucre sera sélectionnée selon le terrain et les conditions climatiques. Le procédé de production de la mélasse sera plus rigoureux quant aux impuretés. Le lieu de stockage est important, idéalement à une altitude supérieure à 2’000 mètres. Ensuite, le vieillissement se fera en différentes barriques, chaque bois ajoutant une saveur particulière. Généralement un rhum Premium passera par 3, 4 voire 5 barriques différentes. Elles peuvent provenir des États-Unis ou de France mais aussi de Colombie.
Les marques classiques
Aujourd’hui, le marché est dominé par les marques suivantes :
– Ron Viejo de Caldas, de la Industria Licorera de Caldas, depuis 1928.
– Ron Medellín, de la Fábrica de Licores de Antioquia, depuis 1946.
– Ron Santa Fe, de la Empresa de Licores de Cundinamarca, depuis 1950.
– Ron Marqués del Valle, de la Industría de Licores del Valle, depuis 2012.
Les dates correspondent au début de la production, toutefois les distilleries sont plus vieilles et ont commencé en produisant de l’aguardiente. D’autres rhums ont aussi été produits, mais abandonnés ou modifiés au cours de leur histoire.
Chacune produit de larges gammes de rhums. Les prix vont de 25’000 pesos pour le Santa Fe de 3 ans jusqu’à 70’000 pour le Reserva Especial 12 ans de Ron Viejo de Caldas. La moyenne pour une bouteille de 750ml se situe à 35’000-40’000 pesos.
Les marques Premiums
Quelques marques se sont positionnées dans le rhum de luxe, dans des prix allant de 120’000 à 200’000 pesos la bouteille.
– Ron Dictador, de la Destilería Colombiana à Carthagène, depuis 2002. La distillerie existe depuis 1913 déjà.
– Ron La Hechicera, de la Casa Santana Ron y Licores à Barranquilla, depuis 2012.
– Ron Parce, à Armenia, depuis 2014.
Chacune de ces marques a gagné les plus prestigieuses récompenses à l’étranger. Par exemple, le ron Parce a gagné 6 médailles au World’s Spirits Competition de San Francisco en 2015 avec une note de 92/100. La Hechicera est le rhum colombien le plus récompensé, alors qu’il ne participe que depuis 2013 à des concours.
Malgré tout, la valeur de ces récompenses est relative. Comme tous concours, les médailles sont remises aux participants et les meilleurs ne se présentent pas années après années. Plus représentatifs encore, c’est que ces rhums sont à la carte des meilleurs restaurants de Londres et New York. Les grands spécialistes de cocktails les recommandent et les utilisent.
Les autres marques
Pour compléter la liste, d’autres rhums sont produits en Colombie. Là encore, on les trouvera dans leurs départements d’origine et à l’exportation.
– Ron Baluarte, de la Destilería Colombiana à Carthagène, les producteurs du Dictador.
– Ron Coloma, de la Hacienda Coloma à Fusagasugá.
– Juan Santos, à Barranquilla. Apparemment disponible uniquement au Canada.
– Ron Canasteros, de la Karibbean Liquor Black River. Apparemment disponible uniquement aux États-Unis.
– Ron Juan de la Cruz, de la Industria Licorera de Caldas, présentée sous ce nom, ou comme édition spéciale du Ron Viejo de Caldas.
Le monopole départemental
Il est extrêmement facile de trouver du rhum. Chaque supermarché ou épicerie en vend. Le gros problème est le manque de choix à cause des licences de vente.
Il existe une loi de monopole sur l’alcool depuis 1905. Dans le cas du rhum, mais aussi de l’aguardiente, chaque département octroie ce droit à une distillerie qui contrôle donc la production, la distribution et la vente. À moins de chercher d’autres accords à l’amiable, aucune autre marque ne pourra vendre ses produits.
Le cas de Puro Colombia est assez représentatif. Produit en accord et en sous-traitance avec la Industría de Licores del Valle depuis Avril 2012, la marque avait aussi le droit de commercialiser son rhum et aguardiente dans le département du Valle del Cauca. Moins d’une année plus tard, le contrat était rompu sous motif de concurrence déloyale, ainsi que soupçons d’ingérence. La marque a simplement disparu, moins d’une année après son lancement.
À cause de ce monopole, les marques Premiums n’ont aucun débouché commercial en Colombie. Les seules exceptions sont le département d’origine et les Duty Free. Hernán Parra, président de la Destilería Colombiana explique qu’il vend son rhum Dictador dans 67 pays. En Colombie, on ne le trouve pourtant qu’à Carthagène ou dans quelques aéroports internationaux, comme El Dorado. On peut facilement le trouver dans des supermarchés en France mais pas à Barranquilla qui n’est qu’à 2 heures de route…
Les rhums Premiums ne font pourtant pas concurrence aux distilleries traditionnelles car elles ne visent pas la même clientèle. Mais à cause de cela, l’amateur de bons rhums devra acheter un Premium importé, comme le Zacapa de Guatemala, au lieu d’un produit national apprécié dans le reste du monde.
Comme c’est bien souvent le cas en Colombie, les meilleurs produits partent à l’exportation. C’était la règle avec le café, mais la tendance a changé depuis. Une clientèle nationale s’est créée et il est très facile maintenant de trouver de l’excellent café. La clientèle pour le bon rhum existe, il faut par contre maintenant que les lois changent. Espérons que ça soit pour bientôt.
Comment trouver du bon rhum en Colombie
Comme toujours, il y a des exceptions. Il est donc possible de trouver les rhums Premiums et les éditions spéciales des grandes distilleries dans différents endroits du pays.
Pour commencer, il faut consulter les pages internet des marques. Elles indiquent les points de vente ou de dégustations. Par exemple, nombres de bons restaurants les proposent à la carte.
Et enfin, il faut simplement poser la question dans les licorerías. En dépit de la loi de monopole, certains magasins arrivent à en offrir. À Cali, par exemple, la licorería à l’angle de la Calle 5ta et Carrera 13, propose La Hechicera. Sinon, pensez à faire vos achats lors de vos étapes à Carthagène, Barranquilla ou l’aéroport de Bogotá et Medellín.
Lire aussi : La bière en Colombie
3 Replies to “Le rhum colombien”
Article tres precis et documentè qui m’explique beaucoup de choses que j’avais remarque en Colombie. L’omnipresence du rhum Antioqua de medellin, entre parentheses sa vente en container souple plastic-carton est extra pour voyager. Leur anejo de 3 ans est super rapide a avaler tant il est agreable et leger, par contre l’aguardiente anisè je suis plus reservè. Quant aux premium, c’est vrai, on n’en trouve pas, meme a siroter en restorant. Comme vous dites, seules les duty-frees… Nous avions ramene des bouteilles de Parce, excellent. Dommage que je ne connaissais pas les autres dont La Hechicera. Occasion manquèe, il faudra que l’on revienne …
Merci pour votre blog. Tres bien …
Le rhum de la reunion est fait a partir de melasse, contrairement a celui des antilles
En fait, les distilleries Réunionnaises (Savanna, Isautier, Rivière du Mât, Charrette) proposent les deux styles; agricole et industriel. Les rhums “anciens” maintiennent les recettes traditionnelles à base de jus.