La société colombienne en plein changement

La société colombienne en plein changement

La Colombie a une histoire singulière et les nombreux changements qu’opère le pays influence sa population. Depuis ma première visite en 2003 et encore plus depuis que j’y vis, je remarque peu à peu que la société colombienne vit des changements majeurs et une évolution des préoccupations. Le pays est passé en quelques années seulement de destination pas recommandable à destination immanquable, et suscite une grande curiosité. Le monde semble à peine découvrir les colombiens, ceux du peuple et pas ceux qui font les grands titres des journaux. Je voulais donc partager mes observations sur de récents évènements qui démontrent ce changement de la société et qui est très encourageant pour le futur.

Pendant quelques décennies la Colombie était repliée sur elle-même à cause de tous ses problèmes de violence et d’inégalités. Mais au fur et à mesure que la violence baisse, qu’il est plus accessible de voyager à l’intérieur du pays mais aussi à l’extérieur, que la classe moyenne augmente, la population se soucie et milite pour son bien-être. La grande différence est que maintenant la population ose se faire entendre et s’en donne les moyens.

 

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Cause animale

 

Le premier changement que j’ai observé est la cause animale. Avant 2010 on entendait peu de gens se plaindre des corridas qui étaient très populaires. Nombres de ferias taurines avaient lieu et les meilleurs toreros du monde se présentaient à Bogotá, Cali, Medellín ou Manizales entre autres. On voyait même des arènes de combats de coqs où pariaient les gens. Cependant, peu à peu des manifestations contre les corridas s’organisaient pour en démontrer la honte et la cruauté. Il y a des appels à interdire l’organisation de tels évènements. Les réactions furent par exemple plutôt violentes à Bogotá en début d’année 2017 suite à la reprise de la feria, qui avait été interdite depuis 2012 par l’ancien maire. Ceux qui brandissent l’argument de la tradition culturelle sont vus comme dépassés et les ferias peinent maintenant à attirer des spectateurs.

Je remarque aussi l’augmentation constante de gens qui adoptent des chats ou chiens de la rue, envoie des messages sur les réseaux sociaux pour encourager d’autres à le faire ou donner de la nourriture. Les cas de violence contre les animaux sont dénoncés, comme par exemple le cas d’une famille ayant publié des photos sur Facebook maltraitant un chien des buissons. La nouvelle loi 1774 de Janvier 2016 reconnait enfin les animaux comme êtres vivants et sanctionnent les mauvais traitements d’amendes et jusqu’à 3 ans de prison.

 

Écologie

 

Un sujet qui tient beaucoup à cœur à de nombreux colombiens est la préservation de la nature. Avec la deuxième biodiversité la plus grande au monde, après le Brésil, nombreux sites exceptionnels sont malheureusement régulièrement menacés par l’exploitation minière et autres intérêts économiques. Le premier cas que j’ai pu observer, en 2011, fut une mobilisation sur internet contre le projet de construction d’un complexe écotouristique de luxe dans le parc naturel de Tayrona. Le projet du groupe thaïlandais Six Senses avait même été annoncé par le président Santos mais suite à l’intervention du ministère de l’environnement et des tribus indigènes, le projet a été suspendu. Le projet, nommé depuis Los Ciruelos, a été grandement modifié et pourrait peut-être quand même se faire mais sans l’ampleur et l’ambition originales. Affaire à suivre.

Caño Cristales

 

Un cas similaire a eu lieu en Avril 2016 pour une concession minière délivrée à une entreprise américaine, très proche du site exceptionnel de Caño Cristales, la rivière au sept couleurs. Suite à une forte mobilisation sur internet et de journalistes, la concession attribuée par l’agence nationale des permis environnementaux (ANLA) a été retirée par décision du président Santos. La société américaine cherche maintenant à porter l’affaire aux tribunaux pour obtenir des compensations financières.

 

Jusqu’il y a peu, le déboisement n’attirait pas trop l’attention du grand public. C’est pourtant un des nouveaux défis majeurs de la Colombie. Les départements d’Amazonie sont les plus touchés parmi les 6.5 millions d’hectares déboisés dans tout le pays durant ces 26 dernières années au profit d’espace pour le bétail, l’agriculture ou juste pour s’approprier des terres. Cependant les informations sur le réchauffement climatique et les drames liés aux éboulements, notamment à Mocoa, font prendre conscience de l’importance des arbres. De plus en plus, les colombiens cherchent à éviter des coupes d’arbres qu’ils n’estiment pas nécessaire. La mairie de Cali par exemple a dû renoncer à couper 43 arbres pour augmenter l’espace disponible à l’installation de gradins supplémentaires pour la feria de Cali. Des citoyens s’étaient même enchaînés aux arbres arguant que la ville en manque déjà trop par rapport à son nombre d’habitants.

Foto: El Tiempo

Bien sûr, les réseaux sociaux et les mobilisations populaires ne réussissent pas à elles-seules à inverser les tendances, il faut l’intervention de journalistes, politiciens, ONG, activistes et défenseurs sociaux pour obtenir un vrai résultat. Mais ces actions démontrent que les simples citoyens se sentent concernés, ils cherchent de plus en plus à faire entendre leurs droits et prendre le destin de leurs villes et leur pays en main.

 

Impunité

 

L’époque où l’argent achetait tout même la justice semble se terminer. Un cas très marquant fut l’enlèvement, viol et assassinat de Yuliana Samboni, âgée de 7 ans, par Rafael Uribe Noguera en Décembre 2016. La police a rapidement repéré le principal suspect et retrouvé le corps après que les parents ont déclaré la disparition. Dès le lendemain que l’affaire est sortie dans les journaux, la population est descendue dans la rue pour réclamer justice, d’autant plus que les frères et sœur du suspect étaient impliqués en tentant de faire disparaître les traces du crime. Bien que la famille fasse partie de la haute société de Bogotá, le coupable a été condamné à 51 ans de prison. La grande mobilisation a permis d’attirer l’attention sur tous les cas de violence envers les enfants et plus généralement sur la population défavorisée.

#OjosEnTodasPartes

Un très grand nombre de cas restent encore impunis malheureusement et ne sortent pas à la lumière. Le travail est encore grand mais au moins le message est passé que personne ne peut se soustraire à la justice grâce à son seul nom ou relation. Dans un pays avec des écarts d’égalité tellement grand, beaucoup pensent pouvoir s’en sortir d’une phrase magique ¿Usted no sabe quién soy yo? (Vous ne savez pas qui je suis?). Mais les cas de plus en plus souvent enregistrés par caméras de la police ou téléphones de citoyen pointent le doigt sur ce problème de société que la population ne tolère plus.

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Le machisme et le féminicide

 

Le machisme en Colombie a encore de beaux jours devant lui, avec tout ce qui entraîne de valorisation de l’infidélité, de sorties entre copains pendant que la femme reste à la maison avec les enfants, de commentaires déplacés et d’inégalités de salaires.

Cependant nombreux cas de féminicide sont relayés par la population et appellent à la justice. Toutes les classes de la société sont touchées, comme par exemple une jeune avocate à Popayán brutalisée sans raison par son copain, et encouragent d’autres victimes de cas similaires à ne pas se taire. Les autorités prennent ce problème très au sérieux et ont durcis les peines reconnue comme féminicide avec sa loi 1761 de Juillet 2015.

La Colombie a aussi le triste record du plus grand nombres d’attaques d’acide, seulement derrière le Pakistan et le Bangladesh. Les attaques longtemps passées sous silence, le cas très médiatisé de Natalia Ponce de León en Mars 2014 a alerté la population et les autorités sur ce problème qui touche principalement les femmes. Une nouvelle loi 1773 de Janvier 2016 condamne jusqu’à 30 ans de prison le coupable et jusqu’à 50 ans si l’attaque est contre une femme ou un enfant.

Malgré le machisme et les difficultés auxquels les homosexuels se confrontent, la Colombie reconnait le mariage homosexuel depuis Avril 2016. Une union donnant certains droits était déjà reconnue depuis 2007 mais laissait un vide juridique. Fait historique, en Juin 2017, la Colombie a même reconnu légalement le mariage de trois hommes, inventant un nouveau mot au passage; trieja.

 

Épilogue

 

Cet article ne cite finalement que des évènements et faits divers pour essayer de valider mon point de vue, celui que la Colombie progresse a tous niveaux. Je pourrais développer encore d’autres thèmes, comme quand les colombiens défient la religion, critique la doble moral, s’insurgent contre la glorification de Pablo Escobar ou Popeye, ancien capo de cartel, et encouragent plutôt à connaître les scientifiques et inventeurs nationaux comme vrais héros.

On remarque cependant que le pays avait un retard au niveau juridique et tente maintenant de le combler. De nombreuses lois sont actualisées ou crées pour répondre aux besoins de la société, comme encore les lois 1409 de 2012 et 1111 de 2017 pour la protection des employés en terme de sécurité physique.

Le travail est encore énorme, le chemin encore long, la vie est très dure pour une grande partie de la population. Il faudra encore beaucoup de ténacité pour arriver à une qualité de vie suffisamment bonne pour l’ensemble de la population, surtout quand une partie de la classe aisée cherche à maintenir une population malléable et corvéable à souhait. Cependant beaucoup de gens travaillent à rendre leur pays meilleur et au milieu de la morosité que traverse le monde occidental, c’est finalement très excitant et encourageant de voir l’évolution positive de la Colombie.

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2 Replies to “La société colombienne en plein changement”

  1. Excellent article, merci !
    Je suis juriste et je vois aussi d autres changements intéressants. Par exemple, les colombiens qui se battaient devant les tribunaux pour obtenir à leurs enfants des vaccins non couverts par le POS, commencent à comprendre que ces derniers peuvent aussi avoir des effets secondaires nocifs. Et attaquer en justice pour obtenir réparation. Voir la sentence T365/17 de la cour constit

    1. C’est un sujet que je ne connais pas mais qui à l’air de démontrer la même chose, que les colombiens se battent pour leurs droits.
      Cependant la sentence que tu mentionnes dit qu’il n’y a aucun lien entre le vaccin et la maladie de l’enfant: http://www.corteconstitucional.gov.co/relatoria/qfullhit.htw?CiWebHitsFile=/relatoria/2017/t-365-17.htm&CiRestriction=%23filename%20%2AT%2A.htm&CiBeginHilite=%3CB%20CLASS=HIT%3E&CiEndHilite=%3C/B%3E&CiHiliteType=Full
      Y’aura-t-il une suite à cette affaire?
      Merci pour ton commentaire encourageant.

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