Le futur de la Colombie

Le futur de la Colombie

C’est un sujet plutôt « casse-gueule » que de vouloir prédire le futur de la Colombie. Toutefois je le vois comme un exercice utile, voire nécessaire, pour remettre en question les connaissances que nous avons. Cela montre aussi à quel point nous sommes capables de relier les informations pour former une vue générale.

Plus que toute autre chose, cela ouvre la porte au dialogue.

Le pays passe par un moment clé de son histoire. Longtemps isolé sur la scène internationale, elle est devenue la destination à la mode et tous les pays occidentaux ont des accords de libre-échange commerciaux avec elle. Mais la transition ne se passe pas sans douleur non-plus. Les défis sont grands et la moitié du pays au moins n’est pas encore prête à les affronter.

J’aborde ici les thèmes de l’économie, la politique et la société en dressant à chaque fois les éléments-clés et leur probable évolution dans le temps.

Économie

 

L’augmentation du PIB a été prodigieuse, il a plus que triplé entre 2003 et 2013. Ceci dû notamment à l’augmentation des exportations, tout comme le prix du pétrole et la force de sa monnaie, le peso COP. Sauf qu’il accuse une baisse de 25% depuis, à cause de la chute du prix du pétrole brut, ce qui a aussi provoqué une dévaluation du peso COP.

L’économie colombienne est forte et résistante, grâce à un marché intérieur très bien structuré et surtout diverse. Même en pleine crise, le marché intérieur maintenait une progression d’environ 0.5% annuel. La balance exportations-importations était positive jusqu’à la crise du pétrole. Elle est maintenant négative mais le pays a automatiquement réduit ses importations pour favoriser sa production nationale et ainsi compenser le manque à gagner. En fait, mis à part les produits électroniques comme ordinateurs, téléphones et la technologie de pointe comme appareils médicaux, machines-outils, la Colombie se suffit à elle-même.

Centre de Cali

Lire aussi : Où et comment investir en Colombie

 

Points positifs

Parmi les principaux secteurs d’exportations, on compte le pétrole, le charbon, le café, les fleurs, les minéraux, les fruits, le sucre, les voitures. Ce sont des secteurs qui se portent très bien … pour l’instant.

Parmi les secteurs en expansion, on trouve le tourisme avec une augmentation annuelle d’environ 30% et le secteur tertiaire comme les call-centers et centres de logistiques d’entreprises multinationales pour le marché latino-américain.

 

Préoccupations

La Colombie a toutefois de graves préoccupations. Le prix du pétrole n’est pas remonté aux niveaux antérieurs et ses réserves sont estimées à seulement 5 ans. De plus, une vingtaine de pays, principalement occidentaux, se sont engagés à ne plus recourir au charbon alors qu’actuellement ils consomment le 35% du charbon colombien à l’exportation. En combinant la fin du pétrole et cette diminution, les exportations totales pourraient donc diminuer de 38%, presque du jour au lendemain.

Lire aussi : Le pétrole en Colombie

L’immobilier atteint par endroits des prix surévalués. Toutes les villes ont des quartiers dans cette situation, Bogotá et Medellín en tête. L’explosion d’une bulle peut avoir de fâcheuses conséquences.

Lire aussi : Comment acheter un bien immobilier en Colombie

Le réseau routier est en retard et les nouvelles infrastructures sont un gouffre financier, notamment dû à la corruption. La Colombie a environ 20 ans de retard à rattraper, surtout dans les zones autrefois contrôlées par les guérillas.

L’économie parallèle du trafic de drogue est ingérable. Bien qu’impossible à calculer, les estimations lui confèrent environ 2% du PIB. L’élimination du narcotrafic est un devoir social mais qu’il faudra compenser.

Dans le même sujet social, les compensations aux victimes du conflit coûtera très cher aussi. Si certains pays occidentaux ont promis des aides financières, elles ne suffiront largement pas à couvrir les dommages.

Chute du pont Chirajara

 

Mon opinion sur l’économie

L’économie colombienne va continuer à progresser, mais ne deviendra pas le miracle économique comme beaucoup de spéculateurs en rêvent. Elle n’entrera pas en crise majeure et maintiendra une stabilité, fidèle à sa réputation d’économie la plus stable d’Amérique du Sud. Le fracking et la prospection de zones reculées vont permettre d’augmenter les réserves de pétrole pour quelques années supplémentaires et laisser le temps d’absorber les grandes dépenses d’infrastructures routières et sociales. Le développement d’autres secteurs, notamment tertiaires, couvriront la diminution des secteurs primaires.

Le chômage par contre risque d’augmenter. Les charges aux entreprises et les impôts augmentent continuellement à cause de mesures de sécurité, hygiène et contrôle pour satisfaire aux exigences des traités de libre-échange. Les entreprises vont baisser leurs effectifs au moindre sursaut et presser leurs employés au lieu de réengager.

Le peso (COP) se redressera un peu. Il ne reviendra pas au taux avant 2014, qui était d’environ 1’800 pour 1 dollar mais se situera plutôt à 2’500 au lieu de 3’000 actuellement. C’est un taux toujours favorable aux exportations et rendra les importations moins lourdes à acquérir. L’augmentation du tourisme va aussi aider, en devenant un secteur important et générant des revenus supplémentaires. Le PIB devrait donc se maintenir et remonter peu à peu.

Les rendements n’atteindront pas des niveaux exceptionnels, quand même légèrement supérieurs aux taux des pays de la zone Euro mais avec les difficultés en plus car il n’y a aucune volonté politique d’améliorer la productivité et la rentabilité. Transporter des marchandises coûte presque aussi cher qu’en Europe à cause du carburant et des péages. Les impôts sont excessifs. Le système bancaire n’a aucun scrupule et aucune obligation de soutenir les entreprises, par exemple avec des taux d’emprunt favorables. Tous ces facteurs sont un frein au développement, mis en place pour enrichir une élite. Une amélioration mettra en tout cas une décennie pour voir le jour.

Sur le même sujet, lire aussi : Les secteurs d’investissements à Cali, Medellín et sur la côte Caraïbe

 

 

Politique

 

Tout comme la majorité des pays latino-américains, la Colombie a aussi connu une dictature, de 1953 à 1957. Elle est somme toute singulière car le coup d’état n’a versé aucune goutte de sang et le dictateur, le général Gustavo Rojas Pinilla, s’est retiré après 4 ans pour se pas avoir réussi à pacifier le pays, alors en pleine période trouble de « La Violencia ». À part cet épisode, le système politique a toujours été stable et un autre coup d’état ne risque pas de se produire.

 

La corruption et les grandes familles

Cependant, le gouvernement est gangréné par d’autres problèmes que sont la corruption et le monopole par quelques familles ultra-puissantes. Les politiciens sont liés de très près aux plus grandes entreprises et médias de communication. Le seul effet positif, pour l’instant, du retrait des FARC est de mettre en lumière que le principal problème du pays est justement cette corruption.

Le premier évènement significatif, que j’ai pu observer, fut la campagne d’Antanas Mockus qui est arrivé au deuxième tour des élections présidentielles en 2010. Le peuple aurait préféré Alvaro Uribe, mais comme un troisième mandat est interdit, il choisit celui qui avait ses faveurs; Juan Manuel Santos. Ce fut cependant révélateur de voir que la classe moyenne, universitaires en tête, s’est massivement mobilisée pour un candidat atypique ; fils d’immigrés lituaniens et du Parti Vert, en comptant seulement sur le bilan très positif de ses deux mandats comme Maire de Bogotá.

 

Le changement inquiète

Les candidats sont maintenant tous inscrits pour la campagne présidentielle de cette année 2018 et se révèle comme la plus intéressante de toute son histoire. La lutte contre la guérilla n’est plus au centre des préoccupations, mais plutôt l’économie, la justice et les problèmes sociaux. Plusieurs candidats ne faisant pas partie de la bourgeoisie ont leurs chances et incarnent l’espoir de changements majeurs. Les programmes des candidats sont originaux en incluant des réformes énergétique, éducative et couverture sociale. L’immigration s’est même invitée aux débats, ce qui est un thème résolument nouveau. Elle est accompagnée de la crise humanitaire du Venezuela qui démontre un cruel manque d’expérience.

Toutefois, le pays est encore très conservateur et manque de recul. Même si de l’extérieur on se plait à penser que le plus dur est derrière, que le chaos fait presque partie du passé et que les jours heureux arrivent, n’importe quelle transition apporte son lot de doutes, d’efforts et peut-être même de rechute. À l’heure où le monde entier a les yeux tournés vers ce pays dont il ne connait rien, des nouvelles règles de jeu s’imposent et pas tout le monde n’a la capacité de s’adapter.

Les enquêtes de satisfaction bimestrielles réalisée par Gallup montrent d’ailleurs que les colombiens n’ont pas foi en l’avenir. Ils estiment que l’économie, la sécurité, le coût de la vie, le narcotrafic, la lutte contre la corruption et la pauvreté, l’emploi, l’environnement, la protection de l’enfance et vieillesse, les soins médicaux, l’éducation et l’agriculture vont mal et que le pays en général ne s’améliore pas. Il n’y a bien que les relations internationales, l’immobilier et le transport qui donnent une relative satisfaction.

Sergio Fajardo – Gustavo Petro – German Vargas Lleras – Iván Duque – Humberto De La Calle

Mon opinion sur la politique

Les défis seront grands pour le prochain président et son cabinet. La fin du conflit avec les guérillas obligera le gouvernement à gérer des zones dont il ne s’occupait guère jusque-là. Il devra connecter le pays avec de meilleures infrastructures de transport s’il entend réduire le contrôle des bandes criminelles sur les mines illégales et la production de cocaïne. Les inégalités ont aussi de telles proportions qu’il faudra des décennies pour les réduire.

Je pense que la classe politique et bourgeoise préfère de toute façon maintenir une part de la population dans la pauvreté et sans éducation pour disposer de main d’œuvre bon marché et malléable. La plupart des produits d’exportations sont non-transformés, il faut donc des bras. Curieusement, beaucoup de colombiens de toute classe sociale acceptent cet état en ne concevant pas l’éducation supérieure gratuite comme viable et vitale.

Je pense que les quelques grandes familles tiendront les rênes du pays pour encore une longue période. Comme la pauvreté entraîne l’insécurité, il leur est d’autant plus facile d’exercer le contrôle. Il leur suffit de faire valoir leur filiation et relations pour s’imposer alors qu’un autre sera jugé sur ses résultats. Antanas Mockus a fait valoir son mandat positif comme Maire, tout comme le font Gustavo Petro et Sergio Fajardo. Mais c’est trop peu. À mon avis, le changement arrivera quand des partis progressistes non-corrompus pourront se targuer d’un programme qui a fonctionné dans différentes régions par différents membres. Pour l’instant leurs programmes semblent « expérimentaux », laissant le peuple face au difficile choix de sauter vers l’inconnu.

 

 

Société

 

Les mentalités évoluent somme toute. Les colombiens ont longtemps été stigmatisés dans le reste du monde, même auprès des autres latino-américains, et le pays s’ouvre peu à peu. Aussi, au fur et à mesure que le tourisme augmente, l’image de la Colombie à l’extérieur s’améliore.

Lire aussi : La société colombienne en plein changement

Centre de Bogotá – Tour Bacata

 

Les inégalités

Mais la Colombie est aussi régulièrement pointée du doigt sur les inégalités. L’éducation coûte cher. Les soins médicaux ne sont pas accessibles à tous. Les régions reculées sont livrées à elles-mêmes. La guérilla s’est retirée mais le gouvernement n’a pas pris la place laissée libre donc les bandes criminelles en profitent. L’armée va continuer son travail de démantèlement de laboratoires de cocaïne et bandes armées, notamment pour encore améliorer son image à l’extérieur, mais le développement des conditions sociales se fera attendre.

Les villes progressent rapidement. Bogotá a la même offre que n’importe quelle capitale latino-américaine, à part un métro bien entendu. Medellín est devenue la ville la plus innovante au monde et sa criminalité est en-dessous de la moyenne nationale. Cali fait d’énormes pas en avant pour rattraper son retard en infrastructure. Carthagène, Barranquilla, Santa Marta allient patrimoine et modernisme, tourisme et commerce international.

La campagne par contre ne se développe pas au même rythme. Non pas qu’elle doive se moderniser mais au moins compter sur des infrastructures routières, des hôpitaux et un système judiciaire au niveau du reste du pays. San Agustín par exemple, village touristique de 30’000 habitants, n’avait jamais connu la délinquance commune jusqu’à l’année 2017. Maintenant elle aussi connait les vols et ne sait pas comment l’affronter. D’autres zones touristiques vont malheureusement se retrouver dans la même situation.

Lire : Richesse et classes sociales en Colombie

 

Le gouvernement absent

Comme bien souvent dans l’histoire de la Colombie, c’est le peuple qui prend le destin du pays en main. Que ce soit positif ou négatif, et même s’il est à un tournant de son histoire. Les inégalités diminueront seulement si les classes défavorisées réussissent à faire valoir leurs droits, si elles trouvent le moyen d’attirer une part des richesses vers elles, car le gouvernement ne le fera pas naturellement.

Les communautés indigènes essayent par exemple de garder ou récupérer leurs terres mais l’avidité de certaines personnes entraine l’assassinat de leaders sociaux. Les tensions montent dans différentes zones du pays.

 

Le bagage de la violence

La Colombie ne va pas oublier des décennies de violence aussi facilement. Il y a un travail de reconstruction psychologique, de réconciliation, réparation et cicatrisation à faire. Le sentiment d’injustice et impunité pousse des gens à vouloir s’approprier les biens d’autrui. La constance et la patience ne sont pas valorisées et ces mêmes gens cherchent à tout obtenir le plus rapidement possible. De plus, le gouvernement estime à 10 ans le temps nécessaire pour s’occuper de tous les dossiers des victimes du conflit. Au 1er Avril 2018, le nombre de victimes enregistrées était de 8’666’577, voir la page du gouvernement.

Destruction d’un laboratoire

 

Mon opinion sur la société

La qualité de vie dans les centres urbains et interurbains devrait encore s’améliorer. Plus de colombiens vont voyager à l’extérieur tout comme plus d’étrangers visiteront le pays, ce qui contribuera aux échanges tant culturels que commerciaux. D’un autre côté, le gouvernement va chercher à intensifier les actions militaires pour avoir bonne presse et remplir les objectifs de pacification en vues d’attirer les investissements de l’étranger. Certaines régions vont alors bénéficier de ces apports économiques pour améliorer leur situation tout comme certaines régions se développeront grâce au tourisme.

Cependant les inégalités ne vont pas beaucoup se réduire. La pauvreté va diminuer mais certains départements comme le Chocó, Nariño, La Guajira, Meta resteront à l’écart pour de longues années encore. Tant que l’éducation, la médecine et le transport resteront en mains privées, la société colombienne continuera à se mesurer en couches (estratos) de 1 à 6. Les opportunités ne seront pas réparties entre tous et une partie de la population restera sur le carreau avec tout son lot de violence qu’on connaît déjà.

 

Conclusion

 

La Colombie va dans le bon chemin, je n’ai aucun doute là-dessus, mais il y aura beaucoup à faire. Il y a des traumatismes qui prendront des décennies à se soigner et des habitudes qui mettront du temps à changer. Cependant l’ouverture du pays va bénéficier à la majorité de la population. Un tourisme responsable et bien géré peut avoir un impact très positif sur l’économie mais aussi sur la restauration de l’image des gens. Si la corruption baisse et les lois un peu plus respectées alors la Colombie se positionnera au rang des pays leader d’Amérique Latine et deviendra une économie incontournable.

En fait, la Colombie a tout en main pour devenir un paradis terrestre. Toutefois, son histoire joue en sa défaveur. Ceux qui veulent en changer le cours sont majoritaires mais n’ont pas beaucoup de cartes en main. La Colombie va toutefois dans le bon chemin car la tendance change, la balance du pouvoir commence à s’équilibrer. La question est plutôt sur le temps que cela prendra.

Lire aussi : 16 signes que la Colombie progresse et regresse en même temps

22 Replies to “Le futur de la Colombie”

  1. Salut Sébastien, merci pour cet article et plus généralement pour ton blog, riche et intelligent.

    J’ai passé presque une année à Medellin, sans doute pas de quoi avoir une opinion 100% argumentée, ce sera plus une histoire de ressenti. Je voudrais donner si tu le permets, ce ressenti justement.

    Il n’est pas très positif. J’ai vraiment eu le sentiment, des dizaines de fois, dans des situations très banales et quotidiennes, que la Colombie ne s’en sortira pas …

    Bien sûr je me suis demandé ce que ça voulait dire, “s’en sortir” ? Car j’ai cette crainte, que même avec la meilleure volonté du monde, on ne peut se défaire d’une forme de condescendance. Qui serais-je donc pour donner des leçons aux Colombiens ? N’y a t-il qu’une seule façon de vivre ? Sans doute pas …

    Il m’a semblé qu’en Colombie, le souci de la collectivité, du bien commun, est inexistant (il n’y a qu’à voir par exemple sur la route, comment les gens conduisent … et ce n’est qu’un tout petit exemple de ce qu’on appelle en Occident “incivilités”, il y en a beaucoup d’autres sur ton blog).

    Certes l’individualisme est quelque chose de très répandu sur la planète à notre époque. Mais il me semble exacerbé en Colombie. On ne s’y soucie pas des autres (en dehors du cercle familial).

    C’est un frein, à mon avis, énorme au développement. Et cet individualisme ne concerne pas que les puissants; finalement, on est toujours le puissant d’un autre (surtout là bas).

    J’ai aussi le sentiment que les gens se soucient quasi uniquement de trouver la petite “combine” (et non arnaque : je dis juste “combine”) qui leur permettra d’améliorer le quotidien – et là encore, je dis bien “le quotidien”, et non “le lendemain”, le lendemain semble un concept très vague en Colombie.

    Certes en Occident nous dépensons des fortunes pour améliorer notre confort et notre sécurité (assurances en tous genres, retraites, sécu, etc etc), peut être à l’excès car nos sociétés n’ont aujourd’hui plus aucune capacité de résilience et sont totalement démunies face à la violence (cf les 1ères manifs des gilets jaunes où tout le monde a paniqué).

    Mais voilà, le “on verra bien demain” alors qu’on sait pertinemment que demain sera exactement comme aujourd’hui et comme hier … Enfin, sauf si “Dios” en décide autrement …

    Bref à la fin de mon séjour je me révoltais toutes les 2 minutes. C’est pas bon signe …

    Ca me rappelle ce marchand de poulets rôtis rencontré en Guadeloupe (géographiquement et culturellement, c’est les Caraïbes, donc tout près) : je passais devant sa baraque tous les soirs, je n’ai jamais pu lui acheter un poulet, il n’en avait déjà plus. Alors un soir, je lui dis : “tu devrais acheter 15 poulets au lieu de 10, tu les vendrais facilement”. Il m’avait répondu, en toute spontanéité : “pourquoi faire ?” . Et vraiment, il n’y voyait aucun intérêt. Tout est là … Enfin, “tout”, non … mais c’est ça aussi, un “choc culturel”. Le mur de l’incompréhension mutuelle, pas méchante hein, mais bien réelle.

    Quant à l’économie, la part du narco trafic (quelle que soit l’échelle) et du blanchiment d’argent me semble non seulement importante, c’est un pan complet de l’économie (le terme “pilier” étant peut être trop flatteur et positif pour une telle activité). 2% du PIB ? Peut être. Je n’y crois pas en réalité. 2%, mais à l’origine de combien de chantiers dans le BTP par exemple ? Et le blanchiment, par nature impossible à mesurer, de combien de millions d’investissements est-il à l’origine ?

    Le narco trafic fait vivre trop de gens. Un peu à l’image de nos banlieues. La paix sociale est quelque chose d’immensément complexe, en France comme en Colombie, comme partout.

    Bien sûr les gens sont adorables (comme dans beaucoup d’endroits ceci dit, en tous cas en Province 🙂 ), et ils ont quelque chose d’attachant, à la fois humbles et fiers, fatalistes et optimistes.

    Très long post, pardon à ceux qui aiment le concis … Mais est-il possible de l’être quand on aborde de tels sujets. Comme je l’ai dit je n’exprimais ici que mon ressenti.

    Bonne suite pour ton blog et ton aventure (car c’en est une !) colombienne.

    1. Merci Julien pour partager ton vécu et ressenti.
      Vivre un an dans le pays est une expérience réelle, ce ne sont plus les vacances au paradis mais le pays tel quel. J’ai l’impression que tu en es malheureusement reparti lors de la deuxième phase de l’expatriation, c’est à dire en plein choc culturel. D’abord on s’émerveille. Ensuite on se confronte à la réalité, celle de la vie quotidienne. Puis on trouve le rythme pour profiter des côtés positifs, sans nier les côtés négatifs, sans plutôt en les évitant ou en s’y habituant.

      La Colombie n’est pas un paradis et se trouve de plus à un tournant de son histoire. Les colombiens ont envie d’améliorer leur pays mais ils se sentent face à une énorme montagne. Ils ont vu que c’était possible mais ils ont aussi vu que la résistance/opposition était encore très forte. D’autant plus avec ce gouvernement.

      Mais j’ai foi que les colombiens y arriveront tôt ou tard. Bien sûr, le résultat ne sera pas semblable à un pays européens, la Colombie se forgera à sa manière et sera toujours un digne représentant de l’Amérique latine.

      1. Oui j’ai lu cet article où tu évoques les 3 phases de l’expatriation. En effet je n’ai pas dépassé l’effet du “choc culturel”.

        Les différences culturelles sont multiples. Mais rien ne m’a choqué vraiment. Rien de rédhibitoire.

        Sauf la langue.

        J’ai réalisé que ne plus parler Français était carrément comme une amputation. Impossible d’exprimer totalement certaines idées ou sentiments. Le vocabulaire peut être un problème quand on se lance dans des conversations sérieuses, même si ça s’arrange au fur et à mesure qu’on se fond dans l’Espagnol et qu’on ne cherche plus à traduire. Ou qu’on abuse des “si me hago entender” … =)

        Mais ça, c’est presque un détail. Car le plus frustrant, c’est qu’il est impossible d’exprimer sa personnalité. Parlez français à un Français, il saura déjà (un peu) qui vous êtes. Un étranger, évidemment (tout est évident une fois qu’on l’a compris), non.

        Pour ma j’utilise beaucoup l’argot, les jeux de mots, l’ironie, le second degré … J’aime mélanger les genres, avoir un langage mi-soutenu, mi-argotique, passer de l’un à l’autre, j’adore Audiard quoi.

        Et il est bien évidemment impossible de retranscrire cela en Espagnol.

        Tout le monde se doute bien qu’on renonce à plein de choses quand on s’expatrie. On peut y réfléchir avant de partir, faire une liste, il y a la famille, les amis, la blanquette de veau, le Comté, les matchs au stade avec les copains pour soutenir notre vieux club adoré … Ces trucs qu’on connaît depuis 10, 20, 30 ans, qui jalonnent notre vie. Nos repères.

        Mais à distance on ne peut pas savoir ce qui va vraiment manquer ou pas. C’est une fois sur place qu’on en prend la mesure.

        Quand quelque chose cloche vraiment, profondément, on le sent viscéralement, dans la chair, c’est carrément un malaise qui se crée, quelque chose ne va pas et ça ne vient pas de l’extérieur.

        S’expatrier, se fondre dans le moule, ne me semblait pas impossible en soi. Mais c’était renoncer à ma langue, que j’aime profondément. Cela revenait pour ainsi dire à renoncer à mon identité, être un “gringo” lambda, comme un Allemand, un Américain. Ca, je n’ai pas pu l’admettre.

        Oui car là bas, un gringo, c’est un gringo (du moins c’est ce que je pense avoir observé). Pour un Colombien, un Français et un Allemand, c’est à très peu de choses près kif kif. Tout comme nous ne faisons pas de différences entre un Sénégalais et un Ivoirien,ou entre un Péruvien et un Chilien. Et tout comme nous allons au “resto chinois” tenu par un Thaïlandais …

        Voilà j’ai essayé de donner ma vision du “choc culturel”, je rends l’antenne, à vous Cognacq Jay … =)

  2. Bravo pour l’article !
    Pour l’immo, les prix augmentent sans arrêt. Penses-tu que cela va continuer en parallèle du dev de l’économie?
    Une partie de l’argent est blanchie aussi dans cet industrie…

    1. Merci Fabrice

      l’immobilier a connu une augmentation impressionante entre 2013 et 2018. Ca s’est tassé depuis. Les prix montent encore mais en suivant l’inflation d’environ 5% par an.
      Bien sûr, certaines zones sont en décalagent. Elles n’ont pas vues une forte augmentation mais peuvent la connaître prochainement, pour autant qu’elles deviennent touristiques ou au centre d’une nouvelle économie.
      Un peu à l’image de Bucaramanga ou Yopal qui dépendent du pétrole, les prix de l’immobilier sont plutôt à la baisse, tout comme Villavicencio. Alors que Cali grimpe encore fortement, du fait de son rôle de plus en plus important dans l’économie colombienne.
      Plusieurs régions dans le centre du pays vont “se mettre à niveau”.

      L’immobilier sert toujours à blanchir l’argent, mais beaucoup moins qu’à la grande époque des cartels. Il n’y a qu’à voir comment les agents immobiliers se démênent pour vendre alors qu’avant ils vendaient à tour de bras à n’importe quels prix.
      Les restaurants et commerces sont plus efficaces pour le blanchiment.

      Comme la spéculation immobilière en Colombie n’existe pratiquement pas, les prix ont atteint le plafond, du moins en pesos. Maintenant, en USD c’est une autre affaire. Les prix peuvent monter ou chuter.

  3. Bravo pour cet article. Je ne peux pas dire si tout cela est vrai mais je suis usrpis de la diversité des points traités et de la connaissance générale de l’auteur. APrès, je ne suis pas un expert.

    1. Merci pour le commentaire. Le but principal ici était justement d’expliquer les points importants. Cela permet de suivre l’actualité avec un autre regard et pouvoir lier les informations entre elles.
      Après, je n’ai aucune boule de cristal, bien malin celui qui peut deviner le futur.

  4. Visons bien détaillé. Et excelente.
    Maintenant cela fait sept ans que je vis ici et je ne vois pas la même approche.
    Bien que je partage la majorité des points, il n’en reste pas moins que la Colombie reste avec deux problèmes majeur dont tu ne detailles pas vraiment dans ton analyse.

    1) l’économie Colombienne vit beaucoup avec le narco trafique, et le blanchiment d’argent surtout centré dans le bâtiment et les supermarché.

    2) le pays reste très instable quant au processus de pays. Corruption, guérilleros qui reprennent les armes, donc remonté du narcotrafique, insécurité qui revient dans les quartiers pauvres ou il y a de surcroît les guérilleros urbains… en ce qui me concerne avec ton analyse sur la politique et l’économie, bien que des entreprise étrangère soient la, elles vont très pliées bagages si le vent tourne, ce qui déstabilisera plus le pays. Mais restera stable avec le narco trafique, dont les plus grand consommateur de drogue resteront les Amérique et l’Europe… donc ca ne s’arrêtera pas comme ca. Il y aura toujours la demande et l’offre la Colombie l’a… sauf si les états unis ou l’Europe créent leur propre drogue dures… a bas coûts.

    Je pense que l’on sera mort lorsque le pays changera.

    Quant aux présidentielles prochaines elle vont déterminer l’avenir chaotique ou stable de ce beau pays… je reste convaincu comme toi que ce pays pourrait surpasser beaucoup de pays du monde entier, car ses richesses n’ont pas encore été exploitées. Mais pour le moment elle reste très instable… de part la corruption dont tu as parlé et les familles qui gouverne ce pays. On pourrait dire que nous serions comme dans une pseudo dictature family qui opèrent entre les états et le narco guérilleros ou comme on veut les appeler. Rajoute à cela les médias tenu par les même familles, on a le triangle parfait d’un contrôle du pays

    J’aimerai être plus optimiste, mais j’ai vu tellement de petites entreprises se casser la gueule, que les grandes n’auraient pas de.mal à s’en aller du jour au lendemain. Et on a des exemples limitrophes qui nous le montrent chaque jours… regarde l’économie argentine encore en alerte aujourd’hui. C’est de plus en plus compliqué de nos jours. J’ai un bon poste… Mais je reste très vigilant quant à l’optimisme concernant le futur de ce magnifique pays…

    Bien à toi

    Christian

    1. Merci pour ton commentaire très complet.
      Je mentionne le narcotraffic mais ne développe effectivement pas beaucoup ce sujet qui a pourtant une place prépondérante. En fait, je considère que tous ces problèmes, tant la drogue que la guérilla que la violence urbaine sont les conséquences du gouvernement absent. Les infrastructures de transport sont insuffisantes dans une grande part du pays, rendant le commerce de n’importe quel produit impossible, mis-à-part la cocaine. Les subventions, dédommagements et autres aides n’arrivent pas, créant misère et donc violence.
      Donc oui, la situation à l’heure actuelle est critique et le prochain président peut faire basculer le pays d’un côté comme de l’autre.
      Mais justement, mon opinion est que le peuple se réveille et commence à exiger. Beaucoup de cas de corruption, d’incompétence, de malversation sortent à la lumière. Le gouvernement va être obligé d’améliorer la situation, d’autant plus qu’il prend des accords à l’international.

      Mais peut-être suis-je juste trop optimiste…
      Salutations

      1. Salut Sébastien

        Je viens de prendre conscience ce matin d’un fait divers plus que pesant pour le pays, cette arrivée massive de vénézuéliens fuyant leur pays pour se réfugier en Colombie. Je ne suis pas raciste il se produira la même chose quand France. une chose est sur cette démobilisation va créer des mouvements de panique au sein de la communauté colombienne pour cette invasion. Ce n’est pas juste de la violence au Venezuela… la Colombie va connaître aussi son lot de douleur qu’à connut le Venezuela. Suite à ce déplacement forcé. Que fra le gouvernement pour les aider? Comment va réagir les colombiens? Car pour le moment ils réagissent plutôt mal. Quelle est la répercutions économique mais aussi sur le processus de paix? Je pense plus à une déstabilisation du pays à ce sujet..Et toi?

        1. L’immigration venezuelienne actuelle n’est pas comparable avec la France. C’est une situation très difficile à gérer car la Colombie n’a aucune expérience et le flux est très important dans un temps très court. Toutefois c’est un problème seulement économique, car ce sont deux pays frères, même langue, culture très proche, histoire liée. Sans oublier que des millions de colombiens se sont réfugiés au Venezuela par le passé.
          Malgré tout, la Colombie n’a pas de programme de sécurité sociale, regroupement familiale, etc… et peut tout à fait les laisser dans la rue sans se sentir obligé de les aider. Elle a d’ailleurs beaucoup à faire chez elle avant de vouloir s’occuper de ses voisins.
          Le risque est surtout la violence qui peut en surgir comme dans n’importe quelle situation de crise ainsi qu’une baisse des salaires avec un marché de l’emploi qui profitera d’employer des venezueliens à moindres coût.

  5. mouais , vision d’un néo libéral qui croit encore que le futur sera meilleur ! Tu rèves en couleur Sebastien , il te manque des infos pour réellement comprendre que l’avenir de la Colombie ne peut être que NO FUTURO ..Mais c’est la réalité qui rattrapera tes analyses ..superficielles .

    1. Emilio, tu n’as pas dû lire en entier l’article ou bien le comprendre pour me déclarer néolibéral. Si je considère que la libérté d’entreprise est importante, je critique par contre son manque d’encadrement qui provoque des inégalités sociales.

  6. Sans le barrage hydro-electrique d’ Ituango , NO FUTURO PARA COLOMBIA , asi es de sencillo ..

      1. Vivant à Cali dans une ville sans réel projet de développement local ou national , je peux comprendre ta vision de paradis terrestre colombien . Vivant à Medellín , et étant impliqué dans l’avenir de cette ville et région d’Antioquia , ma vision est bien différente .. Ne serait-ce que ce que tu appelles qu’UN élément , celui du barrage d’Hidro-Ituango .
        Je te renvoie si tu veux connaître les implications immédiates du retardement, ou pire de l’abandon total de ce projet , , au débat de Semana In Vivo , du mercredi 23 mai 2018 . Avec les remarquables interventions de Daniel Quintero , ingénieur civil , et la remarquable concejal del Centro democrático de Medellín, María Paulina Aguinaga ..
        On doit s’attendre à une grave crise énergétique en Colombie . Sans énergie pas de développement .
        L’électricité peut couvrir les besoins de la Colombie jusqu’en 2022 . Le pétrole ( 20% des revenus de l’Etat ),2023.
        EPM est deficitaire , et comptait sur les revenus d’Hidro-Ituango pour financer le port d’Uraba et le ferrocarril ..
        17% de l’energie électrique nationale , avec ce projet ..compromis , electricité pour 8 millions de colombiens et dévelopement minier et petrolier , compromis ..etc..
        Pas une vision pour touristes , mais pour nous en Colombie , les temps proches vont être très difficiles . Et le prix de l’electricité va exploser ..
        Il faut 1 à 2 ans pour construire une centrale à énergie fossile et c’est beaucoup plus coûteux qu’une centrale hydro , mais plus long , minimum 3à 5 ans .. Solaire photovoltaïque, il en faudrait des quantités pour avoir suffisamment de mégawatts. Un petit projet est en cours sur la represa de Guatape du barrage del Peñol , près de Medellín ..
        Ce sont des faits , après on peut préférer les rêves , c’est plus vendeur , sauf que les réalités ramènent sur terre . Et celles là , entre bien d’autres , dans très peu de temps …

        1. Ton commentaire confirme que tu n’as pas lu ou pas compris l’article. Je ne dis pas que la Colombie est un paradis terrestre, je mentionne clairement les problèmes du pétrole, des infrastructures, des inégalités, et qu’il faudra au moins une décennie pour voir une réelle différence.

          1. Ta réponse confirme aussi que tu n’as pas compris ce que je voulais dire en listant quelques réalités qui tempèrent fortement ton optimisme , et ce n’est pas en décennie qui pourront se résoudre ..
            Donc restons en là , nos réalités diffèrent , et nos points de vue aussi. Les langues de bois ne sont pas pour moi , parce qu’on ne peut pas relever les défis , si on ne voit que les superficialités .. ce que montre ton article !
            “En fait, la Colombie a tout en main pour devenir un paradis terrestre.” … ? En carte postale pour touristes , ou investisseurs crédules ?

        2. Emilio, si tu veux pouvoir discuter sereinement avec quelqu’un, il faut éviter de l’étiqueter dès ton premier commentaire, ça n’a jamais un effet favorable à l’échange d’idées et de faits. Tes informations sont intéressantes mais ton ton condescendant nuit fortement à ton message. Il est possible d’expliquer son point de vue en respectant autrui.

  7. bonjour Sebastien
    Quel bon résumé sur ce pays c’est exactement cela,je le vis et le vois tous les jours.Ton analyse est fine et avec beaucoup de details. Je vois que toi aussi tu es en pleine imertion dans ce pays.
    Félicitations pour cet excellent travail sur la Colombie .Merci.
    Nous allons attendre les élections .
    Cordialement
    Franck

    1. Apres bientôt 40 ans dans ce pays , j’ai lu avec plaisir l’excellente analyse de SÉBASTIEN.
      Continuez , c est super intéressant !
      Jacques

    2. Merci Franck et merci Jacques
      content de savoir que vous confirmez mon analyse.
      Vivement qu’arrivent les élections, les propagandes deviennent insupportables à la longue 😉

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